Pour de nouvelles règles
auteur : Philippe Villien
Stérilisateur = Payeurs
Tentons un déplacement par analogie et peut-être par anticipation sur une même exigence morale. Notre société par ses lois établit un état de droit. Le droit dit « pollueur = payeur » pour résumer la répartition des coûts de dépollution d’un terrain. Celui qui est à l’origine de l’acte qui a pollué doit réparer par une compensation, la dépollution. Et les coûts induits par ces actions réparatrices sont à la charge du pollueur. Nous devons considérer les immenses étendues minéralisées de la subagglo, parkings de centres commerciaux, plateformes logistiques, aires de manœuvres, pistes d’envol, emprises des transports, comme des abus de stérilité, incontestables dégradations du biotope pré-existant. En ce sens ces gigantesques programmes pelliculaires polluent. Ces plaques minérales suppriment toute biodiversité, stérilisent la fertilité des lieux. Ces pollutions se font par un pelliculage minéral après avoir retiré la couche fertile du sol.
Les pollutions pélliculaires
La pollution par le pelliculage minéral intense doit être stoppée et nous devons ouvrir l’époque de la re-fertilité. Les passages à une terre agricole sans pollution d’engrais, à une forêt gérée comme un ensemble multiple de ressourc
es, à un biotope durable, sont à programmer. Nous pourrions inscrire dans la loi l’obligation pour les « stérilisateurs » de refertiliser les terrains là où ils les ont minéralisés à l’excès. Les minéralisateurs actuels devraient donc inclure dans leur budget le coût complet du processus : on stérilise maintenant avec ces plaques immenses, imperméables des plateformes logistiques, des zones d’activités monofonctionnelles. On devra refertiliser ce sol en le dé-pelliculant et en ramenant la richesse antérieure du sol disparu. La terre végétale sera ainsi une valeur forte du futur. Et ces plaques actuellement minéralisées seront les futures réserves biodiverses, les lieux emblématiques d’une nouvelle vision du territoire à partager.
Mégastructure VS Métastructure
La mégastructure se porte mal parmi les urbanistes. Elle a une odeur de souffre, des relents régressifs. Elle peut quasiment être une injure. Les mégastructures développées dans les années 60 à 70 avaient pour vocation de se répandre sur le territoire. Elles apparaissaient comme des ouvrages d’art d’une taille suffisante pour qu’elles soient forcément habitées. Elles créaient leur propre climat intérieur. Actuellement le choix de la mégastructure est tentant comme réponse au gigantisme des lieux de la subagglo. La mégastructure a par ailleurs une puissante capacité identitaire et organisatrice qui serait bien utile dans la constitution d’une subagglo. Une « bigness » selon Koolhass grouperait les principes de masse et de grande échelle. L’architecture qui en résulterait aurait, outre cette « grosseur désirée », une rupture entre l’intérieur et l’enveloppe. Peut-on opposer à la mégastructure, maintenant honnie des projets urbains de la ville dense, une « bigness » territoriale ou une « métastructure » ?
Pour une « Métastructure »
Nous pourrions appeler « métastructure » une nouvelle forme urbaine, une nouvelle bigness dans le territoire de la subagglo. Les inconvénients de la « métastructure » sont multiples. Nous pouvons nommer en vrac une indifférence feinte au contexte, un sens par trop univoque avec une grande répétitivité, une rigidité lisible dans la distribution, une appropriation réputée difficile par les habitants du déjà-là. Les points neutres de la « métastructure » sont une volonté d’être systématique, un travail du sol perçu à grande échelle. Les avantages de la « métastructure » consistent dans sa résonance spectaculaire, son caractère extraordinaire, sa grande souplesse de reprogrammation, son puissant effet identitaire. La bibliothèque de Borges est-elle une métastructure ? Le nouveau port de Roissy est-il une « métastructure » ? Posons quelques équivalences : méga = grand = big ; méta =
après, au-delà de, avec > « mégastructure » versus « métastructure ». Quelle serait la différence entre le désir du grand et la volonté du tout, entre ces deux conceptions d’immenses structures, coordonnées et ouvertes ? Ici dans la subagglo est-on plus légitime que dans la ville, éparse mais agglomérée, à défendre la conception d’une « métastructure » ?
Un port victime de son utopie ?
Tentons une comparaison entre le port proposé dans ce PFE et une critique marxiste des années 1980 du projet de Le Corbusier pour le projet « Obus » à Alger. Manfredo Tafuri dans Projet et utopie décrit le projet de le Corbusier comme le projet le plus évolué, le plus abouti de l’urbanisme capitalisme proposé délibérément à une échelle « anthropo-géographique » du territoire. Les principes des deux projets sont très convergents : à Alger par l’autoroute sur le toit de l’immense bâtiment linéaire, à Roissy par le canal unifiant la base ; par les tours emblématiques mimant une danse des contradictions à Alger, par les spectaculaires franchissements de la A1 et du RER à Roissy, l’industrialisation des composants de la construction étant un idéal commun aux deux projets. Les projets de Le Corbusier pour les grandes villes européennes ou d’Amérique du Sud sont restés lettres mortes. Ce port deviendra-t-il également une victime : celle de l’incapacité d’un système économique à réaliser ses utopies les plus avancées ?
Nouveau port anthropo-géographique
Ici, pour nous il s’agit d’un projet de port, qualifié avec méfiance et regrets de mégastructure, d’une ligne brisée soulevée et enjambant les infrastructures existantes, autoroute et Nationale, lignes RER, et le nouveau canal lui-même. Les darses du port fabriquent un nouveau sol, se soudant avec le contexte. Et surtout la structure étagée par ses différents programmes abrite des process mettant en relation le local et le global, grâce au transport et à la culture sur le toit. Ce projet a une dimension « anthropo-géographique » car ici c’est bien l’homme qui est visé, son bien-être au travail et dans ses loisirs (temps libres). Géographique car l’horizon et le sol sont ici unifiés dans une nouvelle strate, refondant transversalement le grand site au nord de Roissy. C’est dans le sens des courbes de niveau que s’étire ce nouveau monde, ce « nouvel établissement humain ». Comme si jusqu’à présent les infrastructures Nord-Sud, se libérant de la topographie, avaient échoué à révéler la topographie du plateau creusé de ses sillons humides et de ses modestes talwegs.
Remédiation / aller voir ailleurs si c’est mieux
Le port développe une différence avec sa famille des grandes infrastructures par un rôle de « remédiation ». Ce mécanisme consiste à « faire ici » avec un certain
impact, mais induit ipso facto un « faire là-bas »
qui améliore et compense largement la situation globale. Il s’agit de faire ici un projet réussi mais il nous faut également induire une transformation positive là-bas. Il ne s’agit pas d’un processus engendrant une nouvelle coupure par la circulation fluviale ici, mais bien d’une résorption du territoire, l’un allant avec l’autre. La ligne du nouveau port transforme le territoire en magnétisant ce qui avait été disséminé, dans une logique d’isolement meurtrier pour l’agriculture préalable. Le port permet la remédiation d’un état des choses que l’on croyait immobile, figé. Les multiples zones d’activités dispersées dans les petites villes alentours vont se régénérer dans la nouvelle ligne du port. Pour ce port nouveau nous ciblons de multiples sites à remédier : les Zones d’Activités de la subagglo.
Pénélope de la programmation
Je veux parler de ces projets de territoire dont le programme fait défaut, s’échappe, s’autodétruit, se défile. Ce semestre c’est sur une plaque logistique voulue en mutation que cela s’est produit. Là se sont formulées des hypothèses successives de programmes très divers : foire pour objets d’occasion, centre sportif de haut niveau, camps touristiques, parc d’attractions, marché de la voiture alternative… On le voit, des programmes inspirés par la platitude du lieu, par la vaste emprise disponible. Mais chaque nuit portant conseil, le matin voyait le site vacant, en friche, et finalement en défaut de programme. Inlassablement durant les mois du projet, jusqu’au jury final, l’architecte de ce territoire défaisait la nuit pour le lendemain ce qui avait été dessiné, figé le jour. Pourquoi ? Etait-ce le refus de figer la conception ? Etait-ce
l’intention de laisser actifs plusieurs possibles ?
Etait-ce la joie de détisser le programme, comme on déconstruit et recycle des matériaux ? Etait-ce désirer une autre forme d’urbanité évolutive, basée sur une mémoire régulièrement ré-initialisée ?
Projet terminé & interminable
Pour paraphraser un article de Freund : « projet terminé, projet interminable », nous voulons écrire ici sur un phénomène de conception singulier, mais significatif de la créativité du projet dans la subagglo :
la ré-écriture permanente du projet. Dans la subagglo peut-être plus qu’ailleurs le projet doit être comme un « code source ouvert ». Le projet se place à l’origine. Mais il se rêve ici « ouvert ». C’est dire qu’il appelle sa contestation à chaque étape, son enrichissement. Dès le départ le programme comme projet se cherche selon le lieu. Un lien de nature poétique se noue entre le programme et le lieu. Grâce à ceci un caractère sensible indélébile sera imprimé au projet de territoire. Puis lors du dimensionnement, de la définition des objectifs, une participation large et soutenue des habitants, des futurs usagers, des associations apportent au projet une profondeur et une consistance. L’architecte et les concepteurs techniques s’impliquent ensuite dans les phases plus avancées vers la réalisation avec des choix esthétiques engagés.
Voir plusieurs possibles en même temps
Par ses dessins, l’architecte de territoire fait voir. Mais d’une manière très différente de celle de l’opticien ou du télescope ; il ne grossit pas ; il ne corrige pas. Il ne met pas en scène. Ce ne sont pas les dessins d’un scénographe, ni ceux d’un magicien. Non, ici dans la subagglo l’architecte nous fait désirer des possibles. Au pluriel. En définitive l’architecte est un personnage rare. Il détient un pouvoir singulier et héroïque : il nous fait voir plusieurs possibles en même temps.
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