La nécessaire pérennité de l’habitat

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Si la maison est cet amoncellement de personnalité façonné par le temps est-il raisonnable d’envisager l’abri éphémère sans bouleverser notre mode d’habiter ?

« C’est contre les évènements du monde, en effet, que la maison sera construite ; l’espace met à l’abri du temps. »[1]

François Vigouroux dans son ouvrage, ‘L’âme des maisons’[2] montre que c’est le rapport des êtres tout entier à l’existence et aux autres qui trouve un terrain d’expression privilégié dans la relation à une maison. On peut en effet émettre l’idée d’une forte corrélation entre le développement des individus et leur logis. Si, à la manière des philosophes matérialistes et notamment de C. A. Helvétius on considère que l’homme est le produit de son environnement cela paraît même aller de soi. De la même façon, Bachelard affirme qu’« Il y a un sens à prendre la maison comme un instrument d’analyse de l’âme humaine ».

Si, à la manière de François Vigouroux, on envisage l’habitat comme cette cristallisation de l’histoire personnelle de ses occupants alors un habitat éphémère ne semble pas concevable. Comment, en effet, l’histoire des êtres pourrait-elle imprégner des lieux sans cesse renouvelés alors même que cette imprégnation nécessite une durée importante ?

Il s’agit peut être là d’un fait ou d’une pratique hautement culturels. On peut effectivement opposer à cette approche celle d’autres cultures qui n’abordent pas l’habitat de la même façon. On peut, par exemple, penser aux chasseurs cueilleurs d’Amérique du sud ou aux nomades des steppes d’Asie. Et bien que Michel Mangematin nous mette en alerte :

« Si nous n’y prenons garde, le présent en viendrait à se réduire à une tension vers le futur et ne serait plus vécu pleinement […]. C’est dans la mesure où nous rencontrons le temps dans l’architecture qu’elle nous est appropriée. Elle nous dévoile la signification existentielle, non seulement d’une qualité d’étendue mais, essentiellement d’une qualité de durée. D’une durée qualifiée par les qualités de l’étendue. […] »[3]

Nous pourrions toutefois objecter que n’ayant pas connaissance d’édifices capables de nous soustraire au temps, ce dernier s’y rencontre par conséquent dans toute architecture quelle qu’elle soit.

Dans le cas des nomades constructeurs de yourtes on peut cependant signaler qu’emportant leur habitat avec eux dans leur déplacement, la question de la pérennité se pose en des termes qui sont davantage ceux de la sédentarité. Ainsi les mêmes observations faites sur l’usage psychologique et ontologique des maisons s’appliquent à leur mode d’habitat malgré des différences. Remonter systématiquement et à différentes périodes de l’année leur habitat n’empêche nullement de s’identifier à (ou à travers) celui-ci, d’en faire un élément de son histoire personnelle.

Néanmoins, cela ne nous aura pas fait perdre de vue et ne permettra pas de ne pas accepter l’idée d’une donnée hautement culturelle dans le rapport à l’habitat des être humains.

Ainsi, que le rapport décrit par F. Vigouroux soit de portée universelle ou non, nous ne pouvons que conclure sur l’importance de la durabilité de celui-ci puisque même dans le cas d’une différence culturelle, l’habitat ne semble jamais envisagé comme éphémère. Cela laisse cependant ouverte la porte vers un avenir lointain derrière laquelle les modes de vie se bousculent et où nos cultures ne ressemblent plus à ce que l’on en connaît, de telle sorte qu’elles rendent envisageable un habitat éphémère en transformant ce rapport à la maison…

Parallèlement on peut évoquer l’idée que cette façon d’habiter est relative au degré de développement des individus qui y habitent. Puisqu’habiter c’est précisément investir les lieux (Habere : avoir) peut être qu’en tant qu’homme, on dépose durablement son empreinte sur son lieu de vie lorsque l’on en a les moyens. La durée de vie humaine reste un indicateur notable… Un individu se construit peut être encore bien davantage qu’une architecture et il n’est pas insensé de voir dans un lieu de vie pérenne, un facteur bonifiant de sa construction individuelle. Il peut en effet sembler pertinent de relier la construction d’un individu, de son identité, à la présence d’un lieu de vie solide et fort.

« Le rôle privilégié de la maison ne consiste pas à être la fin de l’activité humaine, mais à en être la condition et, dans ce sens, le commencement. Le recueillement nécessaire pour que la nature puisse être représentée et travaillée, pour qu’elle se dessine seulement comme monde, s’accomplit comme maison. L’homme se tient dans le monde comme venu vers lui à partir d’un domaine privé, d’un chez soi où il peut à tout moment se retirer. »[4]


[1] Christian Godin Laure Mühlethaler ; Édifier, l’architecture et le lieu, Verdier, Lonrai, 2005, p.29

[2] F. Vigouroux, L’âme des maisons, Presses universitaires de France, 1996

[3] J. Dewitte, R. Durand, M. Mangematin, etc., op. cit., p.173

[4] E. Lévinas, Totalité et infini, Essai sur l’extériorité, M. Nijhoff, 1961, p.125

 



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